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5 juillet 2011 2 05 /07 /juillet /2011 11:43

 

 

 

 

( Construite le long de Stuart Higway, cette route qui relie Darwin à Adélaïde, Katherine est une petite ville isolée dans le North Territory, une étape pour les voyageurs qui traversent l'Australie du nord au sud. Aux portes du désert, elle offre quelques sites naturels intéressants à visiter, dont le Nitmiluk National Park et ses fameuses gorges sculptées durant des millénaires par la rivière... Katherine.

Mis à part camper dans la nature ou se détendre dans des sources d'eau chaude, il n'y a rien à faire dans cette bourgade. L' intérêt qu'un backpacker trouvera à venir dans le coin ? L 'argent ! Les salaires sont élevés et l'économie locale tourne à plein régime. Vous pourrez cueillir des pastèques et des mangues, servir des bières ou des burgers à des barbus, cuisiner, faire le ménage dans une base militaire, dans un hôtel. Encore faut-il tomber au bon moment, rencontrer la bonne personne, avoir un peu de chance, de l'expérience ou du culot. )

 

 

 

 

 

 

Après trois semaines passées à Darwin, après une escapade à Kakadu, des derniers jours faits de rencontres, de déplacements en bandes, d'apéritifs géants, je me suis décidé à quitter Darwin. Disons qu'il fallait que j'aille voir ailleurs, bien trop de backpackers recherchent des emplois, et vu que je n'ai pas encore d'expérience professionnelle australienne, mis à part ces quelques jours passés chez Bill, je passais après les autres :

 

« - On a choisi quelqu'un ayant plus d'expérience que vous, désolé, votre entretien s'est bien déroulé, je garde quand même votre CV sous le coude.

-Vous plaisantez j'espère, vous avez lu mes références ?! Que diriez vous à un gamin de 20 ans. Çà fait 10 ans que je bosse dans le business!

- Sincèrement désolé Vincent, je ne doute pas une seconde de vos capacités, mais, vous n'avez pas de référents australiens... »

 

 

Ici les entrepreneurs aiment qu'on leur indique des personnes à contacter pour qu'ils puissent vérifier que vous êtes un bon travailleur, je ne leur ai laissé que des numéros de téléphone français. Il va falloir que je triche, comme certains, que je donne de fausses références, genre, serveur dans un restaurant italien, et que je note le numéro de Jacomo, un pote.

 

« Ciao... Vincenzo ? Cé oun poutin dé bon tlavaillor !!! Ma qué, j'aulé aimé né jamais m'en sépaler !... »

 

Mon idée première était d'aller sur Alice Spring, c'est une ville située au centre de l' Australie, au coeur du désert, qui ne laisse personne indifférent, peu de gens s'y plaisent, donc peu y restent. Je me disais que m'isoler dans un coin paumé où l'on est bien payé serait la meilleure solution pour mettre des sous de coté.

L'équation est simple :

 

Travailler à 20 dollars de l'heure minimum + ne rien avoir à faire mis à part boire 2 ou 3 bières le soir face à 1 « ZZTop » dans l' 1 des 2 seuls pubs du coin + tenir le coup pendant au moins 2 mois = compte en banque²

 

Laurent, un français, me dit qu'il n'en peut plus de zoner à Darwin, qu'il part pour Katherine « Y' a gavé de jobs là-bas, on s'y rejoint ?! », j'y songe sérieusement.

Le soir même, j' empreinte la guitare de Fabien. En faisant mon show dans le pré, en face du Frog's Hollow, au sein de notre troupe franco-germano-anglo-italienne, Clémence et Sean, me disent qu'ils veulent aussi quitter Darwin.

Dans le même temps, deux hollandaises, vendent leur voiture, une Ford Falcon blanche, un break. Après être allées chez le garagiste pour la faire réviser, elles me proposent la voiture pour 500 dollars, il y a l'alternateur à changer. Je vais au garage avec elles et Fabien ( mécanicien ) dés le lendemain. Je me renseigne sur l'état de la voiture. « C'est une bonne voiture, tu pourras rouler encore pendant 30000 ou 40000 bornes », me dit le garagiste. Je l'achète, fais faire les réparations, au final elle ne me coûte que 950 dollars, une « putain » de bonne affaire !

 

Un dernier passage au marché de Darwin afin de profiter du coucher de soleil, de voir ces musiciens barrés, d' écouter ce set hallucinant, où l'un fait vibrer ses toms, son shirley et sa grosse caisse à la sauce post-rock, où l'autre se joue de quatre didjeridoos « électronifiés », un chanteur-guitariste participant partièlement à la fête. Des aborigènes sont en transe, face à la scène. Un dernier barbecue sur la plage, notre décision est prise, nous partons avec Sean et Clémence à Katherine, au passage nous nous arrêterons au parc national de Litchfield et  rejoindrons un couple d'américains et un allemand.

Au moment de dire au revoir, Thomas, me dit :

 

«- Hey Vincent, tu cherches toujours du boulot ? J'ai un plan pour toi, pour aller bosser quelques semaines sur un chantier, tu partirais en avion, tu y bosserais sept jours sur sept.

-Merci Thomas, mais je vais à Katherine, j'en ai marre d'être ici, j'ai besoin de bouger... »

 

                

 

                

 

 

Sean est un anglais de 22 ans, un fanatique de musique qui passe son temps à lire, ses écouteurs bien calés dans les oreilles. Il est calme, réfléchit, mûr pour son âge. Clémence à la trentaine, elle est blonde, sourit tout le temps. Elle possède un gros tempérament, une de ces femmes indépendantes qui aime s'amuser.

 

Nous sommes prêts. Nous passons à la station essence, faisons des provisions, «  En route mauvaise troupe !!! ».

 

Je m'habitue rapidement au fait de rouler à gauche, la voiture fonctionne bien … jusqu'à quelques kilomètres de Litchfield, au moment de vouloir faire un demi-tour, elle cale, de la fumée s'échappe du moteur, du récipient contenant le liquide de refroidissement. Nous attendons un peu, je la recharge en eau, nous repartons.

Bo, Cory et Leandro sont déjà sur place, la nuit est sur le point de tomber, nous trouvons un camping.

Bo, est biologiste, je pars avec lui pour chercher du bois afin de faire du feu. Il m'enseigne comment le sélectionner, « le bois doit être dur, très dur », à grands coups de machette, nous récoltons six ou sept buches qui flamberont la nuit entière.

Nous passons la soirée autour du feu, je joue du ukulélé. Bo sors un didgeridoo de son van et me l'offre, un cadeau qu'un ami lui a fait, il attendait de trouver quelqu'un qui puisse prendre soin de son bébé.

 

« Merci Bo, j'sais pas quoi dire. J'ai trop de chance, il y a une semaine, Thomas et Hélène m'offraient une tente, quand je suis parti du Frog's Hollow, Fabien m'a donné sa guitare, et là ce didjeridoo, c'est un truc de « ouf »!... »

 

Ces trois routards ont un état d' esprit parfait, ils sont généreux, exubérants, attentifs à ce qui les entoure, intelligents, prêts à tenter n'importe quelle aventure. Sur un coup de tête, ils se décident d' aller nager, de nuit, à la cascade, nous les suivons. Frileux, je me contente de regarder les étoiles et d'écouter la nuit.

 

Le lendemain nous sortons de nos tentes au petit matin pour aller voir ces fameuses chutes d'eau, c'est splendide, il y a un peu trop de touristes à mon goût, mais nous ne boudons pas notre plaisir. Équipés de masques et de tubas, nous explorons les profondeurs de cette eau douce et fraiche, il y a des milliers de poissons. En remontant vers nos véhicules, nous croisons le chemin d' un serpent, il n'a pas l'air effrayé, il fait semblant de nous ignorer tout en faisant le beau.

 

                

 

                

 

                

 

                

 

Je vérifie le niveau d'eau de la voiture, j'en ai remis ce matin, il n'y en a déjà plus, j'ai l'impression qu'elle coule par terre. Je la recharge. Nous décidons de reprendre la route, nous avons encore deux cent kilomètres à faire, nous allons rouler tranquillement. Les hollandaises avaient baptisé cette voiture Sandy, je l'ai rebaptisée Amy, et là du coup j'ai l'impression qu'à l'instar de cette junkie de génie qu'est Amy Winehouse, elle a très mauvais caractère, j'aurai peut-être dû l'appeler Christine...

Quarante kilomètres plus tard elle s'arrête, il n'y a plus d'eau. Un australien vole à notre secours :

 

« C'est du sérieux ! Il doit y avoir un crack dans le moteur, l'eau va dedans, si vous allez jusqu'à Katherine, roulez lentement, maximum 60 à l'heure, arrêtez vous régulièrement pour remettre de l'eau. »

 

Sean et Clémence tentent de me convaincre de retourner sur Darwin mais je m'y refuse, s'il y a bien une chose que je n'aime pas, c'est revenir en arrière, j'ai besoin d'aller de l' avant, je ferai réparer Amy à Katherine. De toute façon, j'aurai beau dire tout ce que je veux au garagiste, il aura gain de cause, j'ai juste une facture indiquant qu' il a changé l'alternateur, mais je n'ai rien qui prouve qu'il a fait une révision de la voiture. Je tente le coup, nous allons peut-être tomber en panne au milieu de nul part, je m'en balance.

 

Je roule entre 40 et 60 Km/h, des trains routiers nous doublent à toute allure. Nous atteignons Pine Creek, 100 kilomètres après Litchfield, trois heures plus tard...

C'est une ville  minuscule, il y a juste une station service, deux ou trois hôtels, un camping et un garagiste.

Je me renseigne pour faire opérer Amy, un type, derrière son comptoir, m'explique qu'il y a un enterrement, que le mécanicien est de la partie. Il me dit de repasser demain.

J'hésite, je ne sais pas quoi faire, j'attends ? Je continue ? Après avoir tenté de nous faire embaucher dans ce trou paumé, nous reprenons la route, faisons refroidir deux fois le moteur, récupérons de l'eau dans une roadhouse pour finalement nous garer sur un parking pour camion afin d'y passer la nuit. Nous mangeons des noodles « non délyophilisés », partageons une boite de thon et croquons dans une pomme en guise de dessert. Nous nous endormons en regardant deux épisodes de « How I met your mother ».

Nous nous réveillons vers 9 heure, donnons à boire à Amy, elle en demande toujours plus.

Nous roulons 40 bornes, il n'y a plus de station-service avant Katherine, nous remplissons des bouteilles dans une rivière en nous méfiant de l'arrivée d'un éventuel crocodile, l'eau est transparente, elle fera l'affaire.

Enfin la dernière ligne droite, nous pénétrons lentement dans Katherine, abrutis par le clic-clac des feux de détresse, nous nous garons sur le premier parking venu. Il est 14 heure, mission accompli ! Amy est sur le point de rendre l'âme, elle suffoque, elle couine, elle transpire...

 

Nous sommes déjà en train de déposer des CV dans tous les bars, les cafés, les restaurants, les magasins. Katherine est toute petite, son centre est composé d'une rue principale d'à peine 500 mètres de long, et d'une rue parallèle. Dans cet espace réduit il n' y a pas moins de quatre "bottle shops" ( magasins qui vendent uniquement de l'alcool ). Les hommes ont des dégaines de cow-boy, les femmes aussi (ou presque) , il y a beaucoup d'aborigènes qui errent sans but le long de la route, qui sont  assis sur le terre-plein ...

 

               

 

               

 

 

Avec Clémence, nous revenons bredouille. Sean, en bon anglais, a déjà trouvé un job, barman au Motel.

 

« J'suis dégoutée en fait » me dit Clémence,

« -J'ai refusé un job à Darwin parce qu'on partait...

-Moi aussi...

-Je crois que je vais y retourner. J'suis trop impatiente! Putain ! Je n'étais à Darwin que depuis cinq jours! Je commence à regretter...

-Ne regrette pas, comprends. Je ne retournerai pas à Darwin, si je dois bouger, j'irai à Alice Spring, je vais attendre ici une semaine, et si rien ne bouge... »

 

Clémence partira deux jours plus tard, en auto-stop.

 

Avec Sean, nous avons garé la voiture sur le caravan-park, Amy ayant rendu l'âme, nous la squattons pour dormir. Pour l'instant aucuns rangers n'est venu nous dire de bouger, mais nous savons bien que nous n'avons pas le droit de nous installer ici.

Je passe quelques jours à trainer dans Katherine, j'ai postulé au supermarché du coin, au Mc Donald, dans un hotel pour travailler en tant que commis de cuisine, au golf-club, au country-club, toujours rien. La seule chose positive est que je dépense peu d'argent à vivre comme un gitan.

Sur le parking, des voisins sont arrivés, Sacha et Lara, un couple franco-allemand qui espère aussi trouver du boulot dans le coin. Un soir alors que nous nous faisons cuire des pâtes, un aborigène titubant vient à notre rencontre, s'assoit en tailleur à coté de nous :

 

« -J'ai faim, brothers, vous auriez du pain ?

-Tu veux du pain?... Tiens.

-T'as pas quelque chose pour mettre dedans?

-Non, désolé.

-Donne moi une bière, brother.

-...Tiens. » Je lui tend ma bière, je n'en ai qu'une.

 

« -Donne moi une cigarette, brother.

-...Tiens.

-T'as pas du poulet ou du bœuf pour mettre dans le pain?

-Non, désolé, on a juste ces quelques pattes, pour nous.

-Donne moi du bœuf... donne moi une bière... donne moi une clope.... donne moi....donne moi brother.,... brother....brother.

-Attend, tu m'a demandé du pain, je t'en ai donné, tu m'as demandé une bière je t'ai fait boire dans la mienne, tu m'as demandé une cigarette, je t'ai fait fumer. On a pas grand chose, on ne peut pas t'aider plus... »

 

Il reste assis, il ne cesse de nous demander, demander, demander, il est saoul, défoncé.

 

« Attends, tu arrives, on ne te connais pas, tu nous demande, on te donne, tu ne nous dis même pas merci, on ne peut rien faire de plus pour toi. »

 

Il reste assis, continue.

 

« -C'est parce que je suis noir hein? Tout ça parce que j'ai la peau noir » Il se tire  la peau du bras.

« -Pas de çà avec moi s'il te plait! Que tu sois noir, ce n'est pas l'problème. Tu viens, tu nous demandes, on te donne et t'en veux toujours plus. Tu t' fous de notre gueule, tu te fous d'nous connaître, tu veux juste ce qu'on a. Tu n'te présentes pas, tu ne cherches pas à partager un moment avec nous. C'est pas une question de couleur. Non, on ne te donnera plus rien !

-Aidez moi, brothers, donne moi du bœuf, du poulet je m'appelle...merci...je m'appelle...merci...

-T'as rien compris! Ecoute moi bien, t'es le seul à pouvoir t'aider, le seul! Même tes frères de sang ne pourrons rien pour toi si tu ne décides pas de t'aider toi même, on est tous tout seul! »

 

Il a la quarantaine, ses traits sont épais, creusés, mais il boude comme un gamin. Il reste là, assis, se foutant complètement de ce que je lui dis, ses yeux sont globuleux, sa réalité est ailleurs. Nous arrêtons de cuisiner, remballons nos gamelles, fermons nos voitures à clé et partons marcher.

Nous sommes bouleversés. Nous nous rendons compte à quel point les aborigènes sont mis à l'écart de la société australienne, à quel point ils sont écorchés, brulés à l'intérieur comme à l'extérieur.

Il y a beaucoup de tribus qui vivent dans des réserves en respectant les us et les coutumes de leurs ancêtres, ces aborigènes sont sages, élevés spirituellement. Un grand nombre des aborigènes qui vivent en ville ont été exclus de leurs clans à cause de problèmes liés à l'alcool, à la drogue, à la pornographie. N' étant pas réellement inclus dans la société australienne, ils vivent des pensions de l'état et n'ont rien d'autre à faire que de trainer, ils n'ont pas d'emplois et çà arrange « tout le monde », seuls les artistes s'en sortent avec honneur, car le marché de l'art aborigène est florissant.


Quand vous vous levez tous les matins sans avoir de but et que vous vous sentez rejetés, qu'est-ce qu'il se passe ? Vous vous enfoncez, vous employez tous les moyens qui sont à votre portée pour tenter de vous échapper, rajoutez-y le fait que dans votre culture, on ne vous a jamais évoqué les dangers de l'alcool et des drogues, vous touchez alors le fond.

Ces êtres humains ne sont pas considérés comme tels, je lis le désarroi sur chacun de leurs visages, je ne compte même plus le nombre de fois ou j'ai vu une femme pleurer à chaudes larmes, hurler de dépit dans la rue. Le pire, c'est qu'ils sont bien plus chez eux, en Australie, que tout ces petits-enfants d'européens............

 

 Je me réveille avec l'idée de quitter Katherine, j'en discute avec Sean, il me propose de s'occuper de la voiture pour qu'il puisse continuer à dormir dedans. Cela m'arrange,car je sais bien qu' Amy ne sera pas opérable, je me suis déjà fait à l'idée que j'avais brulé de l'argent.

Je regarde le prix des billets de train pour aller à Alice Spring, j'hésite, est-ce que je dois les acheter maintenant ? Pile ou face. Pile je les achète, face, pas maintenant... Face !

 

Je vais attendre demain.

Sacha et Lara sont de retour sur le parking en fin d'après-midi, il n'ont pas trouvé de job, ils sont désabusés, une femme leur a dit qu'il fallait qu'ils se lavent les cheveux avant de chercher du travail, ils veulent partir au plus vite. Nous buvons l'apéritif, mon téléphone sonne :

 

« -Allo?

-Vincent?

-Oui.

-Bonjour, Richard, directeur du Mc Donald's de Katherine. Vous cherchez toujours un emploi ?

-Oui !... »

 

 

 

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