Je peine à ouvrir les yeux. Les voix des ces trois français du troisième âge ont le même effet sur moi qu'une chanson de Johnny Hallyday. Elles me font mal au crâne. Deux femmes et un homme qui parlent pour ne rien dire, qui commentent chacun de leurs faits et gestes. Heureusement, Monsieur a le sens de l'humour.
Je me réveille de temps en temps pour garder des images de ce trajet extraordinaire, mais la fatigue l'emporte. Je retombe dans mes rêves. Faire la fête et ne dormir qu'une demie heure est un moyen très efficace pour ne pas voir passer un voyage de douze heures mais peut se révéler être une terrible erreur si l'on veut absorber un paysage singulier. J'ai déjà traversé les Andes de Santiago du Chili à Mendoza, je n'ai donc aucuns scrupules à hiberner.
Ma journée a commencé a Salta, elle se finira dans le désert d' Atacama, au Chili.
16H30, San Pedro d'Atacama, 2400 mètres d'altitude...
Je foule enfin la poussière. Nous enfourchons nos backpacks.
«-Le centre ville s'il vous plait ?
-Prochaine à droite et c'est tout droit !
-Merci . »
Je ne pensais pas arriver aussi tôt à San Pedro. Je devais y aller dés mon arrivée en Amérique du Sud, après mon passage à Santiago du Chili. Marcela, ma pote chilienne, m'a fait comprendre que deux ou trois jours ne suffisaient pas pour s'imprégner du désert le plus haut du monde. J'ai préféré courir jusqu'au Brésil pour aller chercher une charmante demoiselle.
«-Tu me préviendras à l'avance quand tu viendras dans le nord, je pourrai me libérer pour te faire visiter ma terre natale » m'a dit Marcela.
«- Je pense que j'y passerai après le Machu Picchu.
-Préviens moi à l'avance.
-Avec plaisir. »
Je ne l'ai pas fait. D'une part, la décision de venir ici c'est faite au dernier moment, nous n'étions pas loin, Awa voulait absolument voir le Chili. D' autre part, je ne me suis jamais senti très à l'aise entre deux filles que j'aime bien ...
Je m'attendais à trouver une grande ville avec des bâtiments et tout et tout. Nous sommes dans un véritable oasis. La plupart des maisons sont blanches ou brunes, enduites de terre, isolées à la paille.
San Pedro est un joli village, un endroit très touristique. Les agences de voyage, les bureaux de change, les restaurants, les boutiques se suivent. La concurence règne. Des milliers de backpackers, de voyageurs organisés se promènent dans les rues.
Nous trouvons l' Hostel Juriques, au fond de la calle Toconao. C'est l' un des moins cher que nous ayons vu sur internet. Nous poireautons plus d'une heure à la réception avant que Juan, le propriétaire, nous accueille et nous montre notre chambre. Il ressemble a un de ces amérindiens que l'on voit dans les westerns avec ses longs cheveux noirs et lisses.
Nous nous renseignons sur les tours organisés. Il va falloir que nous fassions des choix car les prix ne sont pas donnés. Valle de la Luna, Laguna Cejar , les ruines de Quitor, les geysers, l'observatoire astronomique ?
A la vue des photos, notre premier choix sera Valle de la Luna !
Le lendemain, à 16 heure, après avoir réglé 10000 pesos ( prix normal 12000 pesos soit environ 17 euros ), nous montons dans un minibus avec une vingtaine d'autres personnes plus ou moins de notre âge. Nous avons tous un chapeau sur la tête, une bouteille d'eau à la main et un appareil photo en bandoulière.
Un rêve de gosse se réalise, je suis dans le désert. Nous allons d'abord à Valle de la Muerte qui était à l'origine un lac émergé. Elle s'est formée en même temps que la Cordillère des Andes puis l'érosion a fait son travail d'artiste pour donner la forme à ce paysage.
Le vent est puissant, le sable nous fouette les mollets. Je reste muet face à la beauté de ces sculptures minérales, à la vue des neiges éternels et du Volcan Licanbur qui se dressent fièrement à l'horizon. Des surfeurs dévalent les dunes.
Une seconde étape nous mène dans un canyon salé. Nous entrons ensuite dans Valle de la Luna. Nous quittons la terre pour nous retrouver dans cet amphithéâtre lunaire fait de dunes, de roches naturelles sculptées marrons, rougeâtres, roses, jaunes.
Nous n'en sortirons qu'après le coucher du soleil.
Les robots qui on été envoyés sur la lune pour la filmer ont été testés ici.
Nous rentrons chez nous la tête ailleurs, les yeux encore brillants. A deux pas de notre hostel :
« Vincent, viens on fait demi tour, on va se renseigner pour faire le tour astronomique » me dit Awa.
Le désert d'Atacama est le meilleur endroit au monde pour observer les étoiles.
Nous revenons sur nos pas, entrons dans l' Ayllu, un restaurant-bar-hotel-agence de voyage qui propose le tour.
Un petit homme aux cheveux blancs allume un feu dans un grand bac métallique.
«-Bonjour Monsieur, nous sommes intéressés pour faire le tour des étoiles.
-Vous pouvez attendre cinq minutes, il faut que j'aille voir avec la personne concernée.
-Pas de problème, on peut boire un coup en attendant ? C'est combien la caïpirinha ?
-Oui bien sûr, c'est 3000 pesos .
-Si vous êtes occupé, je peux les faire» demande Aoitef avec culot.
Et la voici derrière le bar en train de nous préparer nos cocktails avec amour, nous mettant la double dose. Nous sommes morts de rire, la situation est cocasse.
«-Vous êtes d'où ?
-Nous sommes français.
-Vous êtes français ?! Attendez, j'arrive ! …..»
Il revient avec trois gros livres reliés du 19ème siècle. Il détient tous les Petit Journal de 1897, 1898 et 1899. Nous avons un trésor de la culture française sous nos yeux. Nous feuilletons délicatement les ouvrages de peur d'abimer les pages.
Il s'appelle Juan Carlos, son fils est le propriétaire.
«-Vous logez où ?
-Au Juriques.
-Si çà vous dit, nous avons des chambres ici, normalement nous les faisons à 8000 pesos par personne, mais pour vous ce sera 6000 pesos. »
Nous nous regardons, acceptons.
Le lendemain à 10 heures, nous investissons l' Ayllu. Don Juan s'occupe de nous comme si nous étions ses propres enfants. Nous faisons connaissance avec l'ensemble du personnel, les serveurs, son fils et sa femme brésilienne.
Nous rencontrons deux hommes adorables, Manuel et Ariel. Ils travaillent à leur compte dans le bâtiment, ont sans cesse des chantiers à réaliser dans le village. Ils viennent tout le temps manger à l'Ayllu. Ils sont drôles, passent leur temps à raconter des conneries.
A midi, un bus de lycéen en classe verte s'arrête pour manger des pizzas. Awa enfile la toque de cuisinière, met la main à la pâte.
Nous avons trouvé notre maison pour le reste du séjour.
Don Juan nous dit de ne passer que par lui pour commander à manger et à boire, il est le seul qui puisse nous faire de bons prix.
Nous partons pour un deuxième tour. Nous allons à la Laguna Cejar à une vingtaine de kilomètres de San Pedro. Le lac est composé à 30 % de sel, ce qui lui donne une couleur limpide.
On peut s'y baigner mais il faut faire attention à ne pas se bruler les yeux. Faire la planche est d'une facilité enfantine, on pourrait même lire un bouquin tellement on flotte. Au loin, des flamants roses. Le volcan nous surveille toujours.
Nous nous rendons ensuite à un lac d'eau douce pour nous rincer car nous sommes blancs de sel.
Pour le coucher du soleil nous allons vers un autre lac, la lumière nous offre un spectacle hallucinant, les couleurs sont pures. Le désert se noie dans l'horizon. Nous buvons du pisco sour ( alcool de raisin mélangé avec du sucre et du jus de citron ) pendant qu'une équipe de télévision française fait un reportage.
Je réalise qu'entre hier et aujourd'hui, je n'ai jamais rien vu d'aussi beau.
Le lendemain, nous restons à la maison toute la journée, à ne rien faire, soignés comme des rois par notre cher et bon Don Juan.
Notre tour des étoiles, nous le faisons gratuitement avec Ariel et Manuel. Nous partons à pied tous les quatre avec du pisco et des bières dans le sac à dos. Ils nous emmènent jusque chez eux, à trois kilomètres du village. Ils vivent dans une cabane construite avec des planches de contreplaqué, de bois compressé.
Le première chose que fait Ariel en arrivant est de donner à manger à ses truies. Nous en baptisons une Lucette. Elle vivent dans des cages de bois, il nous explique qu'avec la chaleur et le soleil, il n'a d'autres choix que de les enfermer. Nous les caressons, elles en tombent de plaisir.
Nous faisons un feu sur la plaine voisine. Manuel fait l'idiot, il nous imite quand nous parlons français, employant un charabia incompréhensible mais tellement drôle. Ariel est un descendant des Mapuches, il nous raconte l' histoire de son Chili.
« Les Mapuches étaient de grands guerriers, des braves ! Ils ne se sont jamais rendus, ni face aux incas, ni face aux espagnols. Tu leur coupais un bras, ils te tendaient l'autre et ensuite la tête. Certains se faisaient greffer des lances à la place des bras pour continuer à combattre !»
Nous levons la tête, wouaw... je n'ai jamais vu autant d'étoiles. Elles semblent bien plus proches, on pourrait presque les toucher. La voie lactée est juste énorme, elle dessine les courbes de la Terre.
Nous rentrons chez nous vers trois heure du matin, marchant de travers car nous ne pouvons nous empêcher de lever les yeux au ciel, la bouche grande ouverte.
Comme nous ne voulons plus payer de tours, nous nous décidons à louer des vélos pour aller vers Catarpe. Nous embarquons Issa, un étudiant bouddhiste japonais qui fait un tour du monde avant de rentrer au temple. La chaleur est étouffante, le soleil, brulant. Nous enfourchons nos bolides, roulons dans ce paysage incroyable. Nous croiserons trois français, des purs travellers à capuche. Ils font un tour de l'Amérique du Sud dans leur camtare immatriculé 59, ont même emmené les chiens avec eux, deux gros pitbulls.
Nous nous arrêtons régulièrement à l'ombre d' un arbre, au bord d'une rivière, nous aimerions nous baigner mais l'eau nous arrive aux genoux.
Nous allons explorer une maison abandonnée. Nous sommes comme des gamins qui auraient trouvé une cabane dans une forêt. Nous faisons le tour du propriétaire, nous ne trouvons qu'un vieux matelas, quelques cannettes vides. Des bouquets de fleurs séchées ont été attachés aux barreaux des fenêtres, sûrement un moyen de chasser les mauvais esprits. Sur le trajet du retour, je rêve de la bière fraiche que je vais engloutir en arrivant.
Nous sommes proches de la fin. Nous allons quitter cet endroit la larme à l'œil. Nous avons rencontré des gens adorables, exceptionnels.
Don Juan, au moment de le payer, nous divise notre note par deux. Nous ne payons que 30000 pesos ( à deux !!) pour les quatre nuits, la nourriture et les boissons que nous avons consommées. Il a le cœur sur la main. Au moment de dire au revoir à tous le monde, Manuel me répète pour la quarantième fois, « Economise 30000 euros! Tu viens vivre à San Pedro, je te trouve un terrain, te construits ta maison. Ensuite on crée une agence et on fait tourner les riches. Vas-y reviens, revenez !!! ».
L'Universitad de Chili vient de se qualifier pour la finale de la coupe d' Amérique du Sud de football. Sous les « Chi Chi Chi, Lé Lé Lé » des supporters locaux, je vais me coucher.
Demain, nous nous levons tôt. Je crois que nous allons vivre encore des moments exceptionnels ! Nous allons jusqu'en Bolivie en 4X4, nous nous apprêtons à passer trois jours dans le Salar d'Uyuni. Du très très lourd à venir !!!!