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19 novembre 2011 6 19 /11 /novembre /2011 13:34

 

 

 

 

 Un peu plus de seize heures après avoir quitté Mendoza, je sors de Retiro, la gare routière de Buenos Aires, me renseigne auprès d'un passant :

 

« - Bonjour, quel bus dois-je prendre pour aller rue de Chile ?

-Le 70 jeune homme.

-Merci. »

 

Je le vois, l'arrêt est à cinquante mètres, je trottine, grimpe dedans juste au moment où les portes se referment.

Le chauffeur a environ vingt cinq ans, je lui tend un billet pour demander un ticket, il me montre une caisse automatique :

 

«Il faut des pièces » me dit-il,

«-Je n'en ai pas , mais j'ai de l' argent…

- Non pas de billets, des pièces !

-Heu...

-Bon, c'est pas grave, assis toi là, range tes billets, évite de les montrer en public, y' a plein de gens louches ici. »

 

Il me fait la conversation, me demande ce que je fais dans le coin. Il ne comprend pas que je puisse voyager seul :

 

«-Mais... t'as pas d'amis ?

-Bah si, j'en ai plein !

-Et tu voyages tout seul !... t'es bizarre toi !»

 

Il me dépose rue de Chile, je lui tends 10 pesos pour le remercier, il me dit de les garder et de boire une bière à sa santé.

Je sonne à la porte de l' Ostinatto, une fille m'ouvre, je rempli le formulaire d'arrivée et monte dans ma chambre.

L'hostel est situé à coté de San Telmo, ce quartier populaire mythique qui respire le tango, truffé d'antiquaires. La façade, d'un style ancien, contraste avec l'intérieur qui est plutôt moderne.

Au rez de chaussé, se tiennent la réception, un bar et un petit salon où un ordinateur chante toute la journée, un panneau indique que toute la bibliothèque musicale est téléchargeable gratuitement, il invite également chaque hôte à le nourrir d' MP3.

Au premier étage, une cuisine et une salle à manger équipée d'une grande table « design ». Au dernier, une terrasse avec vue sur les toits. Entre, les chambres et les dortoirs.

 

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Je passe cette première après-midi à écrire, m'asseyant de temps en temps sur le balcon pour regarder les gens passer et observer les pigeons perchés sur l'immeuble d'en face, c'est la saison des amours, Monsieur fait le beau, Madame l'intouchable.

Le soir, je vais boire ma bière de bienvenue, Milan, le barman , est français, il vit ici depuis un an. Mes voisins de comptoir sont australiens, néo-zélandais et américains.

Au fil des verres, j'apprends une nouvelle qui va littéralement transformer mon passage dans la capitale argentine.

 

« On va à un festival demain soir » me dit le couple kiwi.

«-Cool, c'est quoi comme festival ?

- Personal Fest, c'est un gros événement, demain, y' a Lenny Kravitz et les Strokes !

-Trop bien !

-Ouai c'est cool, on est super content ! On hésitait à prendre un ticket pour les deux jours, mais c'est un peu cher, tant pis on va louper Sonic Youth ….

-Quoi !!!??? Y'a Sonic Youth qui passe samedi à Buenos Aires ! Putain, Sooo niiiic Youuuuuuth !!!? Sérieux ?

-Ba oui, y'a The Kills aussi !

-Dites moi pas qu' c' est pas vrai ! Putain ! J' les ai toujours ratés quand ils passaient en France, et là, tu m' dis qu'ils jouent à Buenos Aires ... au moment où je m'y trouve ! Truc de fou ! J'ai pas le droit de rentrer à la maison en disant : « hey les potes, j'ai failli voir Sonic Youth et The Kills à Buenos Aires », c'est mort, j' y vais direct ! C'est combien ?

-250 pesos ( 60 dollars ) !

-Ah ouai, quand même, rien à foutre, j'y vais !!! Si çà c'est pas un cadeau d' la vie, j'y connais rien ! »

 

Je me lève tôt le lendemain, file dans le centre pour aller acheter ma place.

Des manifestants sont dans la rue, ils défilent dans l' Avenida Presidente Julio A Roca, ils viennent de la Pyramide de Mayo, l'obélisque, se rassemblent autour d'une fontaine. Des professeurs et des étudiants en médecine, des infirmiers. Les leaders sont debout sur un char construit pour l'occasion, en blouse blanche, ils hurlent dans un mégaphone, haranguent la foule. Même si je ne sens pas la moindre dose d'insécurité autour de moi, j'observe brièvement les évènements et m'en vais, je ne veux surtout pas me retrouver au milieu de ce grand bordel, comme dirait l'autre, il vaut mieux prévenir que guérir.

 

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Je continue ma ballade dans Calle Florida, une grande rue piétonne. Le quartier fait très européen, les boutiques et les panneaux publicitaires se suivent, à la différence que des vendeurs marginaux étalent leurs marchandises en plein milieu du passage, sur les pavés. Ils vendent de l'artisanat bon marché, des bijoux, des vêtements, de la contre marque.

Des musiciens, assis entre deux magasins, jouent des arpèges et des solos de flamenco, un groupe de rasta reprend du Bob Marley. Il est à peine midi, mais les meilleures places sont déjà prises, les retardataires trainent leurs amplificateurs à l'aide d'un diable, réfléchissent de longues minutes avant de choisir l'endroit où ils s'apprêtent à s'installer pour gagner leur journée. Les danseuses de tango prennent la pose.

 

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J'entre dans un grand magasin de musique à étage, prend l'escalator pour me rendre à un guichet.

J'ai mon précieux entre les mains, je le regarde plusieurs fois, vérifie la datte, le tourne, le retourne. Le disquaire, en bon professionnel, passe l'album Dirty de Sonic Youth. Je vais les voir, oui c'est sûr maintenant, je vais enfin les voir.

Je pars ensuite à Rétiro, il faut que je prenne mon billet de bus, je dois rejoindre Aoitef à Florianopolis, au Brésil. Je vais chez Pluma, une agence de voyage, j'achète mon aller simple pour 550 pesos ( environ 110 euros ), ce trajet me prendra 26 heures.

La gare est cernée de quartiers pauvres, on distingue des maisons sans toits, à peine construites, qui abritent des familles entières, des containers de camion rouillés faisant offices d'habitations.

Çà grouille de monde, je fais très attention, j' essaye d'avoir les yeux partout, à force de trop regarder les journaux télévisés on s'imagine que l' Amérique du Sud rime uniquement avec violence, mais il n'en est rien, en tout cas pour l'instant je n'ai ressenti de la peur nul part où je suis passé, je touche du bois.

 

 

( … )

 

Le grand jour est venu, il est 16H00, je m'apprête à rejoindre le boulevard Independiente pour prendre mon bus. Il fait beau, j'ai passé ma journée à marcher sur les pavés de SanTelmo, à regarder des gamins jouer au foot sous le pont de l' autoroute, à prendre des photos.

 

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Depuis que je suis arrivé en Amérique du Sud, mon périple musical est en « stand by », je n'ose pas sortir ma caméra par peur d'attirer la convoitise, mais aujourd'hui, je vais prendre le risque, si je me fais voler, j'aurai fait mon travail de « journaliste ».

 

Je pénètre sur le site, il fait encore jour. Je passe le contrôle des vigiles sans grande difficulté. L'alcool est interdit, çà va me changer de participer sobrement à un festival.

L'arène est immense, on distingue trois scènes. Les deux plus grandes sont l'une à coté de l'autre, la principale, la Personal Fest, sera consacrée à de la musique rock, verra passer The Kills, INXS , Sonic Youth, la seconde, la Motorola, accueillera de la « world music », avec les argentins de Calle 13 et leur show latino hip-hop. La troisième scène, isolée, fera la part belle à des groupes locaux expérimentés.

 

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Je récupère le programme : « Bon... The Kills joue à 19H30, Sonic Youth à minuit et demi, il va falloir que je patiente. Entre les deux...INXS, je ne sais pas à quoi m'attendre sans Michael Hutchense, bon... à voir quand même. Damian Marley, hum..., si les gènes créatifs du père lui ont été transmis, ce doit être un gars inspiré, faudra que j'aille jeter un coup œil, les autres... connais pas, j'aurai peut-être de bonnes surprises. »

 

Voyant arriver l'heure, je m'avance vers la Personal Fest, m'approche des grilles, je veux voir les Kills de près.

Je regarde leur équipe mettre la scène en place, brancher les micros, les gros amplis Vox, « test son, un deux, un deux, ha ha , ho, yeah, yeah ». Les types savent ce que veulent nos deux stars, ils font les balances à leur place.

La Motorala vient de se taire, la fumée artificielle embaume la scène, les cheveux rouges d'Alison Mosshart et la casquette de marin de Jamie Hince apparaissent sous les applaudissements, les sifflets et les hurlements. Ils respirent le rock'n roll, lui, avec son look de dandy destroy, elle, crachant par terre et buvant du champagne au goulot. Ils vont jouer l'intégral de Midnight Boom, pas plus, pas moins.

C'est impressionnant de voir l'énergie qu'ils déploient, ils ne sont que deux, pas de basse , pas de batterie, quelques touches de clavier, une guitare méchamment efficace, pas de solos, pas de « branlette de manche » mais des riffs en veux tu en voilà, et cette voix venue de sous terre, sensuelle, rageuse, tendrement gueularde, habitée, amoureuse. Le talent au service du minimalisme.

 

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Au moment où j'entends Black Ballon, mes jambes frissonnent, plus personne ne bouge, nous sommes tous envoutés par le charme d'Alison, par cette ballade pop-underground qui se joue sur une corde de mi.

La dernière note raisonne, l'équipe d' INXS est déjà en train de transformer la scène, de l'autre coté, Damian Marley fait son entrée, portant fièrement le maillot de l'équipe d'Argentine, ses longues dread locks lui arrivant aux mollets.

 

« Est-ce que vous aimez Bob Marley » dit-il, « Yeah » répond la foule, « Get up stand up, stand up for your right ». Et c'est parti, Damian reprend l'intégral des tubes commerciaux de Papa, pas une composition, pas un titre original, je dirai donc : sans commentaire ! Il a sûrement écrit des morceaux intéressants, il n'est pas décidé à les jouer ce soir. Désolé, j'adore Bob mais je zappe...

 

Je pars vers la troisième scène, j'y vois un groupe argentin très intéressant qui envoie du rock psychédélique, des morceaux de dix minutes. Les musiciens sont très très bons mais la voix espagnole ne colle pas à la musique, comme avec le français, il semble compliqué de trouver une mélodie vocale qui sonne avec ce type de musique et ne fasse pas « gnan-gnan ».

 

Le grand show, non pas à l' américaine mais à l'australienne, est sur le point de commencer.

INXS, on aime ou on aime pas, ce qui est sûr, c'est qu'ils ont laissé une empreinte indélébile dans l'histoire de la pop-music. J'ai aimé ce groupe, essentiellement parce que Michael Hutchense était une rock star, un beau gosse avec une voix atypique tellement torturé qu'il s'en est donné la mort.

Son remplaçant ressemble au gendre idéal de Sydney, à un joueur de foot australien, à un manequin de salon de coiffure, la tête carrée, la peau lisse, les cheveux courts, les yeux clairs.

Cela ne tient qu'à moi, mais quand je l'entend chanter j'ai l'impression d' écouter un vainqueur de concours télévisé spécialiste en vocalises. Sa voix est puissante, il chante juste, trop juste, il lui manque l'attitude.

Les musiciens sont les mêmes, le son est donc parfait, j'ai juste le sentiment que INXS fait des reprises... d' INXS. Ce n'est pas simple de remplacer un chanteur de cette envergure. Le public est ravi.

Une heure trente plus tard, les australiens disent au revoir.

 

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L'équipe de Sonic Youth prend le relai. Comme pour The Kills, je profite du fait que la majeur partie du public s 'en aille pour me m'approcher au plus près. L'espace est divisé par deux, la configuration scénique est intimiste, comme-ci le concert avait lieu dans une cave, dans un garage, la batterie est proche de la fausse. Les techniciens déballent d'énormes racks de pédales d'effet.

J'attends une heure debout, ne sortant pas de mon espace vital d'un demi mètre carré. Sur l'autre scène, le chanteur de Calle 13, au survêtement à trois bandes jaune fluorescent et à l'égo sur dimensionné, fait durer le plaisir, de notre coté, le public s'impatiente, il hurle « Calla te calle 13 !!! » dés qu'il voit sa tête sur les écrans géants et « Sonic Youth ! Clap clap clap ! Sonic Youth ! Clap clap clap ! » pour abréger le débat.

La messe underground commence. Ils ont pris un coup de vieux nos héros des années quatre vingt-quatre vingt dix ! Ils ont des tonnes de cheveux blancs, mais dans le fond, ils n'ont pas changé. Ils n'ont jamais vendu leur âme contre des succès planétaires et des premières places dans les hit- parades. Ils sont restés eux-mêmes : « Si t'aimes notre musique c'est génial ! Si t'aimes pas, on s'en branle, t'es pas obligé d'écouter ! », jamais de compromis, à vingt miles lieues du star-system, des éternels adolescents disant « fuck » au système, des chercheurs qui considèrent que le bruit est une musique.

Et dire que j'appelais encore Maman pour qu'elle m'essuie le derrière quand ils sortaient, en 1985, leur troisième album  Bad Moon Rising....

Une heure et demi de dissonance, de distorsion. Lee caresse sa guitare dévernie avec un archet, la prend par la tête et la fait planer pour la faire raisonner, Thurston alterne les arpèges et accords lâchés, les sons clairs et inaudibles sur sa Fender Mustang volontairement désaccordée, Kim, l' adolescente ridée, a toujours cette voix anti-pop, cette attitude punk quand elle balance ses cheveux blonds au rythme de sa basse. Le set se finit sur le cultissime Sugar Cane ...

 

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La foule retombe dans le silence, se dirige vers la sortie, encore étourdie par ce qu'elle vient de voir et d'entendre. Nous ne nous rendons pas compte que nous venons de voir l'un des derniers concert de Sonic Youth, ils sont en train de se séparer...

 

Je dois rentrer à la maison, il est deux heure du matin, je marche une bonne heure avant de trouver un bus, je viens de vivre un moment exceptionnel, il ne m'arrivera rien de mal dans cette nuit argentine, demain je m'en vais au Brésil.

 

 

 

 

 

 

 

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