( Il existe une terre magique, au nord de l'Australie, où vécu la plus vieille des sociétés humaine, le carbone quatorze ayant daté des traces aborigènes vieilles de 50000 ans. Selon la légende, ce paysage aurait été sculpté par une déesse reptile, The Rainbow Snake, qui se faufilant dans cette contrée , créa un habitat où une multitude d'êtres vivants ont évolué.
Kakadu est un espace protégé, qui s'étend sur près de 30000 kilomètres carrés, fait de massifs montagneux, de bilabongs ( trous d'eau ) marécageux, de forêts, de rivières, d'une bio diversité unique, où l'héritage tribale des Binings et des Mungguys, symbolisé par des peintures sur roche, témoigne d' une culture, d' un savoir ancestral emprunt de spiritualité et de respect pour l'environnement .
Et dire que l'homme blanc a détruit et perverti une grande partie de ce peuple. Quand je vois le visage d'un aborigène, j'ai l'impression de voir celui que j'avais, des milliers d'années plus tôt, avant que ma peau blanchisse, avant que mes yeux s'éclaircissent à force d'affronter des hivers rugueux, avant que mes ancêtres se soient décidés à quitter l' Afrique pour trouver d'autres terres.
Quand vous entrez dans Kakadu, vous faites un voyage motorisé dans le temps, c'est tellement bon de rouler sur ces routes d'asphalte, d'éviter ( ou pas ) un serpent qui traverse la route, de camper dans le bush, de grimper en haut d'énormes rochers, d'essayer de distinguer un crocodile qui pourrait se cacher au milieu des nénuphars, d'entendre un oiseau aux ailes turquoises rire comme un singe, d'admirer ces feux naturels qui soignent la nature avec une précision déconcertante, de voir l'horizon qui n'en fini pas, d'être allongé sous sa moustiquaire et de s'endormir face à des milliards d'étoiles, la voie lactée vous sautant à la gueule.
Wouaw... On a la sensation d'être seul au monde, loin de la civilisation, à l'état sauvage... )
Quand Hélène, Thomas et Octave m'ont proposé de les accompagner à Kakadu, dans un premier temps, j'ai refusé l'invitation. Je voulais avoir la conscience tranquille, je venais de travailler quelques jours chez Bill et je tenais à conserver cette dynamique, je me disais qu'il fallait absolument que je trouve un autre job. Absolument, absolument, absolument...
Quand Hélène m'a dit « Si tu ne viens pas avec nous, il faudra que tu te trouves d'autres amis qui ont une voiture pour aller à Kakadu. Tu ne peux pas louper çà, autant que tu le fasses avec nous ! » , tout est devenu clair dans ma tête, elle avait raison, autant y aller avec eux !
Je les ai rencontré au Frogs Hollow. Il me semble que la première fois que nous nous sommes parlés, c'était à table, Hélène était face à Octave, ils sont tous les deux français, je me suis assis à coté d'eux et nous avons commencé à discuter, naturellement. Puis se sont enchainés quelques autres repas, nos visages se sont familiarisés, j'étais stupéfait par le rire indescriptible de cette fille, charmé par leur gentillesse. Au début elle n'arrêtait pas de me parler de Thomas, sont petit copain allemand, elle me disait qu'il était le plus beau, le plus gentil, le plus intelligent. Je ne l'ai rencontré que quelques jours plus tard, et dans le fond, elle n'avait pas tout à fait tord en me décrivant son chéri, un chic type.
Ils sont ensemble depuis quelques années, se sont rencontrés lors d'un premier voyage en Australie, trois jours avant qu'elle rentre en France. Après deux semaines passées à la maison, elle a refait ses valises et décolla pour la Nouvelle Zélande pour ne pas louper sa « perle rare ». Ils ne se sont pas lâchés depuis, ils ont continué à vivre au Canada, en Amérique Latine, au Japon...
Il y à deux mois, ils ont adopté Octave. Il a la vingtaine, passe son temps à travailler et à gratter les cordes en nylon de sa guitare classique, il a une attitude nonchalante qui me rappelle quelqu'un au même age...
Nous nous décidons à partir, nous sommes lundi, il est 22 heure. Thomas a emprunté un van rouge a un de ses potes, avec Octave, nous venons juste de rentrer des courses, il n'y a plus qu'à... !
Nous avons trois heures de route, roulons à 90 kilomètres heure, Octave fait le DJ, il nous passe du reggae, nous fait écouter le groupe dans lequel il jouait, enchaine avec La Rue Kétanou, Noir Désir, Cat Empire, nous chantons Bohemian Rhapsody comme dans Wayne's World...
Nous faisons quelques pauses pour admirer des feux naturels nettoyer la forêt, je lève la tête au ciel, je n'ai jamais vu autant d'étoiles, je réalise que l'espace n'est pas si loin que çà.
Arrivés sur le site, nous trouvons un camping à Burbulda, installons nos tentes. Nous buvons quelques bières à notre santé, grignotons des tomates et du fromage, jouons de la guitare, chantons. Thomas sort une sorte de tuyau d'aspirateur blanc en PVC, il s'en sert de didgeridoo , le son est bluffant, il se débrouille bien. Nous n'allons pas faire long feu, nous avons l'intention de nous lever tôt pour partir à l'assaut du Kakadu National Park.
Au petit matin nous nous réveillons avec la lumière du jour, une cinquantaine de petits vampires se sont amassés sur ma moustiquaire, frustrés de ne pouvoir me sucer le sang. Nous sommes à coté d'une rivière, nous déjeunons les yeux rivés sur des échassiers qui marchent au milieu des nénuphars, pas de crocodiles en vue, dommage. Nous plions bagage pour nous rendre à Nourlangie, un région célèbre pour ses peintures sur roche. Dans un premier temps nous grimpons sur une plaine montagneuse pour admirer le paysage, prendre des photos. Ça fait du bien de marcher à la recherche d'un point de vue parfait, l'horizon s'étend sur des centaines de kilomètres.
Nous allons ensuite sur Nanguluwur, le site artistique aborigène.
A l'entrée, deux rangers vérifient les passes. Un passe pour Kakadu coûte 25 dollars, il est valable quelques semaines. Nous pensions passer à travers les mailles du filet, mais là, nous sommes obligés d'en acheter deux, Thomas ayant réussi à en récupérer deux autres avant de partir.
Le parcours fait environ deux kilomètres, un des deux rangers nous indique le meilleur accès, nous marchons sur des passerelles en bois, fixées au bord des rochers. Des panneaux nous content un peu d'histoire, nous expliquent la signification des peintures. Elles ont été restaurées, mais certaines ont plus de 20000 ans.
C'est fascinant, la conscience de l'homme ne datte pas d'hier, certes nous avons progressé scientifiquement et technologiquement, mais la façon dont fonctionnait notre cerveau n'a guère évoluée, la réflexion et l'analyse tournaient déjà à plein régime à cette époque là.
La mythologie aborigène est dessinée sur ces murs de granits.
Des kangourous géants, Nabulwinjbulwinj, un esprit à deux phallus, mangeur de femmes, Namarrgon, créateur de tonnerre, et sa femme Barrginj, Namarndjolg qui coucha avec sa sœur et devint plus tard Ginga, le grand crocodile des eaux salées, des danses, des rites...
Nous marchons lentement, de temps en temps, nous stoppons devant des araignées majestueuses, fières sur leur grande toile. Nous finissons notre ballade à 600 mètres d'altitude, la bouche ouverte, l'œil brillant.
En milieu d'après-midi, nous allons au Warradjan Aboriginal Cultural Centre, où se trouve un musée qui raconte les us et les coutumes des diverses tribus. Je ne suis pas un passionné de musées, je trouve qu'il y a toujours trop d'œuvres à voir, trop de lecture, je ne sais jamais quoi regarder.
Une photo me marque, un homme nu, dans le désert, un serpent dans la bouche. Avec Octave nous nous asseyons face à un grand écran, on y voit des femmes cultiver des patates douces, cuisiner des tortues, nous piquons du nez.
Un dernier détour, une dernière marche de 50 minutes pour regarder le coucher du soleil, et nous partons en quête d'un camping.
Nous roulons jusqu'à Malabanjbanjdju, l'espace est grand, il y a même des caravanes et des sanitaires, le grand luxe !
Un ranger a installé une toile et un rétro-projecteur, il s'apprête à partager son savoir avec les visiteurs. Nous nous asseyons près de lui, les moustiques sont oppressants.
Il peine à faire fonctionner son matériel, il nous dit que ses enfants ont dû jouer avec. Résigné, il s'assoit sur une chaise et se met à nous parler de son parc :
« Vous avez pu vous apercevoir qu'une grande partie du parc n'est pas encore accessible, des endroits sont encore trop gorgés d'eau et sont donc dangereux à cause des crocodiles.
Vous avez entendu parler de cette backpacker allemande ?
Cela s'est passé en octobre ou novembre 2002. Il y avait un groupe qui participait à un tour organisé. Un soir alors qu'ils faisaient la fête et qu'ils étaient sérieusement entamés, ils ont voulu se baigner, ont demandé à leur guide si ils pouvaient. La nuit pour sonder s'il y a des crocodiles, c'est simple, quand vous éclairez l'eau avec votre torche, leurs yeux rouges ressortent.
Le guide a regardé, il venait juste d'être embauché, il n'a pas vu de rouge, il a sauté à l'eau, montrant à la troupe ivre qu'elle pouvait le rejoindre, d' autres ont sauté, dont cette jeune femme.
Au bout de quelques minutes, il est ressorti pour aller chercher d'autres personnes leur disant de venir s'amuser dans l'eau. A son retour, il manquait une personne, il a allumé sa lampe et a vu une dizaine de points... rouges. Les autres nageurs sont rapidement revenus sur les berges.
Nous avons été appelés vers 22 heures, nous sommes arrivés sur place. Il nous a fallu, dans un premier temps, trouver le crocodile qui avait attaqué la fille. En général, ils n'attaquent pas automatiquement l'homme, mais celui-ci, long de quatre mètres, avait une patte en moins et était dans un état de famine. Quand nous l'avons retrouvé, il avait encore le corps entre ses deux mâchoires. Ils nous a fallu le harponner avec une sorte de javelot, en plantant trois derrière sa tête avant qu'il ne lâche le corps. Il nous a tracté pendant quelques minutes et a plongé, restant plus d'une heure à trois mètres de fond avant que nous puissions l'abattre. Il nous a fallu alors retrouver le corps de la jeune femme pour pouvoir le restituer à sa famille. Nous sommes retournés à l'endroit du premier impact, l'eau est limpide, en l'éclairant, il est aisé de voir le fond, nous avons dû l' harponner pour la récupérer. Ça faisait quatre jours qu'elle était en Australie... »
Une fois ces histoires terminées, nous changeons de camping, pour rester ici il nous faut payer 10 dollars. Nous en trouvons un autre, à quelques kilomètres de là. Nous sommes seuls, personne à l'horizon. Nous installons notre campement, près à nous faire griller de la viande hachée de kangourou, à boire de la téquila et des bières, à composer une chanson autour du feu, The Mosquito Killer Song. « Ces putains de moustiques nous rendent dingue ! ». Nous nous coucherons saouls.
Le lendemain matin nous nous réveillons tard. Le temps de ranger tout notre bazar, nous décollons vers 11 heure, direction Gubar, où nous passerons toute l'après-midi. Nous garons le van, remplissons nos sacs de provisions, d'eau, Octave se charge de porter la guitare, il joue en marchant pendant une demie heure, sur un chemin pédestre, à travers un bush orné de montagnes, d'herbe sèche, de fleurs violettes. Nous arrivons près d'une source d'eau, trouvons enfin un endroit où tremper nos pied. L'endroit est paisible, nous sommes bercées par le bruit d'une chute d'eau qui est au loin, nous nous allongeons sur des rochers plats, sur un tronc d'arbre couché, regardons des bancs de poissons-chats composés de centaines d'individus. Thomas grimpe sur des rochers pour sauter dans l'eau. Nous reprendrons la direction de notre véhicule juste avant le coucher de soleil.
Notre périple se termine, nous rentrons à la ville, le soleil vient de se coucher, dans trois heures, nous serons à Darwin ...